Le marbre est une roche métamorphique. Contre
tout constat d'évidence, il est le fruit d'une transformation
du calcaire, qui lui-même est issu de la sédimentation
d'animalcules. Ce travail très lent de solidification s'est déroulé
sur des centaines de millions d'années. Pourtant, quand nous
le regardons, nous croyons voir un objet intangible. C'est cette caractéristique
de solidité, et de résistance aux intempéries,
qui a fait choisir le marbre, ou le granit, ou le grès, pour
l'inscription - en vue de figer dans le temps ce que l'on voulait transmettre,
articles de loi, formules magiques, inscriptions mortuaires.
La science a modifié notre regard
sur les phénomènes géologiques, mais aussi et plus
profondément, sur les échelles de temps qui régissent
l'univers. Ecrivant à quelqu'un depuis mon smartphone, je sais
être inclus tout àla fois dans le temps astronomique, dans
le temps géologique, le temps biologique, le temps humain, et
plus précisément encore, dans l'anthropocène.
Alors que l'on écrivait sur marbre
pour laisser à la postérité un message, on écrit
aujourd'hui l'instantané de sa vie sur les supports majeurs de
communication que sont les smartphones et tablettes numériques.
Le smartphone, couteau suisse de la communication, permet d'écrire,
et mieux encore de transformer un signal sonore en écrit de façon
automatique. Le smartphone permet aussi de payer en caisse, sans contact,
par signal numérique. Le smartphone est devenu l'objet magique,
capable de tout réaliser. La fascination dont il est l'objet
en fait l'équivallent d'un talisman, un objet magique. Avec l'internet
des objets, le temps arrrive où il suffira de pointer son smartphone,
comme s'il était une baguette magique, vers une voiture, un appareil
photo, pour lui dire "tu es à moi".
Ces nouvelles techniques ont produit de
nouveaux usages. Mais quels seront les usages d'écriture et de
communication dans dix ans, dans cinquante ans? Il serait tentant de
confronter cette accélération du temps à une accélération
plus grande encore, et d'aller vers le futur, en essayant de deviner
les évolutions que prendront les moyens de communication. Vont-ils
s'intégrer au corps? Vont-ils se miniaturiser? Vont-ils devenir
des hybrides d'objet technologique et de matière vivante?
A tous les constats et toutes les questions
que j'énonce ici, j'ai voulu trouver une forme d'expression qui
reviendrait au marbre, en intégrant les formes et les usages
de ce jour. L'usage de ce jour, en 2015, est celui du smartphone comme
instrument à tout faire, comme boussole et comme vecteur de la
fusion entre l'oral et l'écrit. Voilà donc mon point de
départ : sculpter des smartphones, dans le marbre noir des Pyrénées,
près de Saint-Béat, à l'échelle 1, et écrire,
sur l'écran, au laser, un message.
A partir de ce point de départ,
j'ai sculpté, en binome avec un plasticien et tailleur de pierre,
François-Xavier Poulaillon, sept autres formes qui tentent le
pari de l'anticipation, tant au niveau du langage qu'au niveau des formes
que prendront les supports d'écriture, et qui tenteraient de
deviner quels seront les usages de communication dans les cinquante
prochaines années. Réalisant ce travail sur un matériau
porteur d'une longue histoire - géologique et humaine - mon travail
en résidence a voulu contracter les échelles de temps
- passé et futur - en quelques objets simples, lisses, noirs,
gravés de signes de communication, qui seraient aussi comme un
message adressé à nos descendants.
Quels textes sont gravés sur ces
objets en marbre? Dans une de mes oeuvres en ligne, "Le livre des Morts",
(livresdesmorts.com), je m'étais attaché à interroger
le texte dans sa fonction de médiation entre le monde des vivants
et celui des morts. Je conçois mon travail pour cette série
réalisée au CIRPAC dans la continuité de ce travail,
mais plus précisément encore comme une façon de
questionner l'écriture en ce qu'elle articule notre perception
du temps - dans une tradition initiée par Saint Augustin. Ecrire
sur des formes sculptées en marbre, des formes qui de plus imagineront
le futur, est aussi une façon de replacer l'écriture dans
une de ses fonctions essentielles, à savoir la médiation
entre le monde visible, ici et maintenant, et l'infini de l'invisible
qui l'entoure, comme un lac noir autour d'une île rayonnante.